[Film] Nobi, de Tsukamoto Shinya (2014)

Durant la deuxième guerre mondiale, aux Philippines, un soldat japonais malade va errer entre son bataillon, qui ne veut plus de lui, et l’hôpital de fortune situé non loin de là qui ne l’estime pas suffisamment malade pour le prendre en charge. Livrés à eux-mêmes, la déroute de l’armée impériale étant proche, ces soldats vont connaitre l’enfer au milieu de la jungle philippine. Affamés, blessés, malades… ils finiront par ne plus reconnaitre leurs semblables.


Avis de Oli :
Avec NOBI, Tsukamoto Shinya adapte un livre qui avait déjà connu l’honneur des salles obscures en 1959 sous les ordres du maître Ichikawa Kon. Par conséquent, il conviendrait mieux de parler de nouvelle adaptation, plutôt que d’un remake. Même si… Même si certaines scènes répondent comme un écho au film de Ichikawa, quelques plans étant même repris à l’identique – ou presque : les réprimandes de l’officier à son soldat, au début du récit par exemple.

L’histoire est donc l’œuvre d’un certain Ōoka Shōhei, simple soldat envoyé aux Philippines en 1944 sans trop savoir quoi y faire. Il connut l’horreur puis la captivité entre les mains des Américains. Revenu au Japon, ce francophile entama une carrière d’écrivain dont l’inspiration première fut la guerre dans le Pacifique. Son livre le plus célèbre est sans nul doute NOBI. Redécouvrir ce terrible récit sur un grand écran a de quoi filer des frissons, surtout que Tsukamoto Shinya s’est, dans l’ensemble, complètement réapproprié l’histoire originelle en dynamitant le tout de sa virtuosité légendaire. Ce n’est pas faire injure à Ichikawa Kon que de reconnaitre la maestria de son successeur. Ichikawa n’avait pas les mêmes moyens techniques à l’époque, ni les mêmes obligations vis-à-vis de la censure. Le film de Ichikawa était cruel et introspectif. Celui de Tsukamoto est brutal et sensoriel. En matière de guerre, la réalité a ainsi souvent dépassé la fiction. Jusque dans un passé récent, on se refusait en effet à montrer de manière frontale les monstruosités que l’on pouvait trouver sur un champ de bataille. Tsukamoto ne s’embarrasse pas des bonnes mœurs et livre, de manière très sèche (ça arrive parfois sans prévenir) des scènes de carnage ahurissantes. La toute première, avec ce mitraillage aérien venu de nulle part, risque de faire des victimes collatérales… à savoir les spectateurs, à tel point stupéfaits qu’ils tomberont de leur siège !

Musique déstabilisante, sons diaboliquement immersifs dans une bonne salle de ciné, photo sublime, savants mouvements de caméra et un souci du détail qui force le respect – les acteurs semblent avoir littéralement vécu dans la faim et la crasse. Impossible de ne pas être happé par ce voyage au cœur de la jungle philippine (tournage au Japon, on n’y voit que du feu – sans mauvais jeu de mot). A la fois au cœur de la vie, tant cette forêt tropicale semble grouiller d’espèces en tous genres, mais aussi au cœur de la mort, pour ces Japonais qui n’y sont pas à leur place. Pour ces Philippins qui ont eu le malheur de se retrouver embarqués dans cette guerre qu’ils n’avaient pas souhaitée. Trois années d’occupation par la cruelle armée japonaise n’auront pas entamé leur soif de liberté : NOBI retrace ainsi la fin de la guerre, et la déroute de l’armée impériale sous les coups de boutoir des Américains, Australiens et Philippins. Tsukamoto ne montre rien de tout cela – ou si peu. Les antagonistes ne sont presque jamais montrés à l’écran. En tout et pour tout, on doit apercevoir trois Philippins et peut-être un Américain – mais très furtivement. Ce choix renforce encore le sentiment d’isolement des protagonistes japonais de l’histoire : ils ne voient pas (plus) leurs ennemis, mais continuent de tomber sous leurs balles, à fuir devant le bruit de leurs bottes. L’enfermement a toujours été l’une des thématiques chères à Tsukamoto. On l’a connu urbain, le voici humain. Enfermés dehors, prisonniers de leur folie qui les éloignera petit à petit les uns des autres : les soldats japonais finiront par se croiser sans plus vraiment se voir…

NOBI est un film qui fait mal. Qui dérange. Ponctué de scènes renversantes (parfois déjà présentes chez Ichikawa Kon – mais avec beaucoup moins de dynamisme), NOBI épouse les formes d’un cauchemar ahurissant, fou et injuste. Voir ces hommes errer comme des zombies, oublier à quoi peut bien ressembler un véritable être humain (la phrase finale du film de Ichikawa Kon résonne alors tristement à nos oreilles)… bref, les voir perdre pied avec la réalité au point d’être prêt à se faire sauter avec une grenade ou tuer une femme dont le seul crime est de crier, fait littéralement froid dans le dos – même si c’est la chaleur écrasante, et presque palpable grâce au talent du réalisateur, qui finira par remporter les débats.
L’enfer au paradis. L’horreur qui frappe comme une rafale de balles venue du ciel. Le soldat isolé au milieu de la vie – la jungle luxuriante. Isolé au milieu des siens – les soldats qui craquent. Isolé au milieu de tous – il est désormais seul, enfermé dans son monde…

Note :



Titre : Nobi / Fires on the Plain
Année : 2014
Durée : 1h27
Origine : Japon
Genre : Clap de faim
Réalisateur : Tsukamoto Shinya
Scénario : Tsukamoto Shinya

Acteurs : Tsukamoto Shinya, Rirî Frankî, Nakamura Tatsuya, Mori Yusaku, Nakamura Yûko

 Nobi (2014) on IMDb


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Auteur : Oli

Amateur de cinéma japonais mais de cinéma avant tout, de Robert Aldrich en passant par Hitchcock, Tsukamoto, Eastwood, Sam Firstenberg, Misumi, Ozu, Claude Lelouch, Kubrick, Oshii Mamoru, Sergio Leone ou encore Ringo Lam (un intrus s'est glissé dans cette liste, sauras-tu mettre la main dessus - attention il y a un piège).
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